Bureau du coroner



Décès lors d’opérations de déneigement à Montréal.

13 décembre 2010

Le Bureau du coroner présente les conclusions du rapport du coroner Me Luc Malouin à la suite de l’enquête publique tenue pour éclaircir les causes et les circonstances des décès de Mme Rajaa Benkiran, 49 ans, décédée le 15 décembre 2008, de Mme Solange St-Onge, 72 ans et de M. Jean Paul Pinet, 71 ans, tous deux décédés le 3 février 2009 et de Mme Lucie Rivard-Lanouette, 76 ans, également décédée le 3 février 2009. Ces quatre personnes ont été mortellement heurtées par des véhicules lourds lors d’opérations de déneigement à Montréal.


Rappel des faits


L’accident causant le décès de Mme Rajaa Benkiran

Le 15 décembre 2008, vers 20 h 55, Mme Benkiran et de nombreuses autres personnes circulent sur la rue Jean-Brillant à Montréal en direction sud. Arrivés à environ 50 mètres de l’intersection des rues Jean-Brillant et Gatineau, Mme Benkiran et d’autres piétons, confrontés à des trottoirs partiellement enneigés à cet endroit, décident de traverser la rue et passent du coup devant une niveleuse stationnée tout près. Au même moment, l’opérateur de la niveleuse, après avoir regardé tout autour de son véhicule, s’assied et le met en marche. Quelques mètres plus loin, des piétons agités attirent son attention. L’opérateur s’arrête et constate qu’il a frappé une dame. Le médecin d’Urgences-santé arrive prestement sur place, mais ne peut que constater le décès de Mme Benkiran des suites d’un traumatisme crânien majeur.


L’accident causant les décès de Mme Solange St-Onge et de M. Jean-Paul Pinet

Le 3 février 2009, vers 9 h 40, au début de la traverse piétonnière du côté nord de l’intersection des rues Sherbrooke et Émile-Duployé à Montréal, Mme St-Onge et M. Pinet attendent devant un feu de circulation rouge avant de pouvoir traverser la rue Émile-Duployé. Près d’eux, sur la rue Sherbrooke, un camion poids lourd affecté aux opérations de déneigement est également en attente afin de tourner à droite sur la rue Émile-Duployé, dans un secteur résidentiel où la circulation est pourtant interdite aux véhicules lourds. Lorsque le feu de circulation tourne au vert, les deux piétons s’engagent dans le passage pour piétons pendant que le conducteur du camion amorce son virage à droite. Le camion heurte aussitôt les deux victimes. M. Pinet décède sur le coup alors que Mme St-Onge décède en fin de journée à l’Hôpital Notre-Dame de Montréal. Tous deux sont décédés d’un polytraumatisme.


L’accident causant le décès de Mme Lucie Rivard-Lanouette

Toujours le 3 février 2009, vers 14 h 10, Mme Rivard-Lanouette marche sur la rue Fleury à Montréal en direction sud. Au même moment, un véhicule lourd affecté au ramassage de la neige circule lui aussi sur la rue Fleury en direction nord et tourne à droite sur Iberville, une rue où des panneaux de signalisation indiquent que la circulation est interdite aux véhicules lourds. Alors que la manœuvre de virage est presque complétée, la conductrice réalise que le milieu de sa remorque a frappé un piéton qui se trouvait dans l’intersection des deux rues. Le décès de Mme Rivard-Lanouette est constaté à l’arrivée du médecin d’Urgences-santé. Elle est décédée d’un polytraumatisme.


Quels sont les facteurs contributifs à ces décès?


À la lumière des enquêtes effectuées par le Service de police de la Ville de Montréal et par Contrôle routier Québec, trois facteurs sont essentiellement en cause dans ces trois accidents, résume Me Malouin. D’abord, toutes les victimes se trouvaient dans des angles morts de véhicules routiers lourds, de sorte que les conducteurs n’ont jamais vu les victimes avant de les heurter.

Par ailleurs, dans deux des trois accidents, les conducteurs avaient nettement dépassé le nombre d’heures de conduite permises par la réglementation en vigueur. L’un d’entre eux n’avait même en sa possession aucun permis de conduire valide au moment des évènements. Même si ce dernier fait est sans rapport direct avec l’accident, le coroner pense qu’il est néanmoins révélateur du peu de contrôle exercé sur les heures de travail des conducteurs de véhicules lourds lors des opérations de déneigement.

Enfin, les obligations du piéton en vertu du Code de la sécurité routière (CSR) n’ont pas été respectées dans un des accidents puisqu’un passage pour piétons clairement identifié était présent à moins de 50 mètres du lieu de l’accident.


Un aperçu des solutions


Les angles morts

Les véhicules impliqués dans les trois accidents ont tous des angles morts, c’est-à-dire des endroits où la visibilité pour le conducteur de ce véhicule est nulle ou réduite. La preuve soumise au coroner a d’ailleurs démontré que chacune des quatre victimes se trouvait dans une zone de visibilité nulle ou restreinte pour le conducteur et qu’il était par conséquent impossible pour ce dernier de les voir. Construits conformément aux normes actuelles, les véhicules utilisés pour le déneigement disposent de l’équipement standard, donc de miroirs latéraux. Ils ne sont équipés d’aucun miroir convexe ou autre dispositif qui permettraient peut-être de diminuer le champ des angles morts.

La question des angles morts fait l’objet de plusieurs études sur le plan mondial. La Commission européenne du transport routier a notamment adopté deux directives (en 2003 et en 2007) relatives aux rétroviseurs et aux dispositifs de vision indirecte supplémentaires afin que tous les nouveaux véhicules commerciaux de même que les véhicules existants soient munis d’équipement pour réduire les angles morts. Il n’y a aucun équivalent nord-américain à ces directives. Au Québec, le gouvernement s’est doté, en août 2009, d’un règlement pour réduire au maximum les angles morts des autobus scolaires seulement.

L’ajout de miroirs, entre autres de miroirs convexes, est communément évoqué au chapitre des solutions au problème des angles morts des gros véhicules. Toutefois, Me Malouin émet certaines réserves puisque, le soir ou la nuit, les rétroviseurs perdent de leur efficacité. Qui plus est, lors des opérations de déneigement, des camions chargent régulièrement de la neige qui est soufflée dans le camion, ce qui a pour effet d’enneiger partiellement ou totalement une partie des miroirs extérieurs. Et enfin, quelle est l’efficacité réelle de ces miroirs pour des véhicules en mouvement, dans la mesure où il n’est pas facile d’obtenir une vision claire et rapide dans ces miroirs?

D’autres solutions existent comme l’ajout de phares d’appoint pour rehausser l’efficacité des rétroviseurs, indiquer aux piétons la présence d’un véhicule, et améliorer la vue à l’avant et sur les côtés du véhicule. Les caméras et systèmes de détection de mouvements présentent également un intérêt notable. Bref, le coroner est d’avis qu’il faut aller plus loin dans l’analyse de toutes ces solutions possibles.


Les heures de travail

Le bilan routier des véhicules lourds, bien qu’il se soit nettement amélioré depuis 10 ans,  demeure problématique, retient Me Malouin. Entre autres statistiques, 15 % des accidents impliquant un véhicule lourd seraient liés à la fatigue accumulée et 30 % à 40 % des accidents mortels seraient liés à la fatigue du conducteur. La fatigue au volant est au cœur du problème des accidents de la route.

Le contrôle des heures de conduite dans les opérations de déneigement est particulièrement difficile. Selon la législation actuelle, le conducteur n’est pas tenu d’avoir sur lui sa fiche journalière de travail, car il ne fait que du travail dans la ville. Lors d’une interception, le contrôleur n’a souvent aucun document pour vérifier le nombre d’heures au travail du conducteur. Il doit alors faire une vérification auprès de l’entreprise qui emploie le conducteur dans les jours ou les semaines suivantes. Il sait donc trop tard si la limite d’heures a été respectée ou non.

La Ville de Laval a mis en place, depuis l’hiver 2010, des scanneurs qui lisent le code barre des permis de conduire de tous ceux qui travaillent aux opérations de déneigement. Il était impossible au moment de l’enquête de connaître les résultats de cette nouvelle façon de faire, mais le coroner estime qu’il s’agit d’une initiative prometteuse.


Les obligations des piétons

Trois des quatre victimes étaient des personnes âgées. Selon Transports Canada, les piétons âgés sont les plus susceptibles d’être tués en traversant la route alors qu’ils avaient la priorité de passage. Compte tenu de la population vieillissante, il est important de bien informer les usagers de la route et les piétons des obligations, règles et dangers qui les guettent.

À cet égard, le coroner a remarqué que les deux excellents documents d’information faits par la Société de l’assurance automobile du Québec et destinés aux piétons sont silencieux sur la question des véhicules lourds et du comportement à adopter en tant que piéton en présence de l’un de ces véhicules. Il suggère donc d’y inclure ce volet incontournable de la sécurité routière puisque peu de gens sont conscients de l’incidence des angles morts d’un véhicule lourd sur son conducteur, pour qui des zones complètes autour de son véhicule sont carrément invisibles.


Recommandations


Les décès de Mmes Benkiran, St-Onge, Rivard-Lanouette et de M. Pinet sont tous accidentels, mais ils étaient tous évitables, conclut Me Malouin. C’est donc pour éviter des décès semblables et mieux protéger la vie humaine que le coroner recommande :


À la Société de l’assurance automobile du Québec et au ministère des Transports du Québec  :

  • de continuer les études des entreprises quant à la valeur et à l’opportunité que les véhicules lourds soient équipés de miroirs convexes ou d’autres dispositifs permettant de réduire les angles morts;
  • d’effectuer ces études en collaboration avec la Ville de Montréal.



À la Ville de Montréal  :

  • de collaborer avec la Société d’assurance automobile du Québec et le ministère des Transports du Québec aux études sur les miroirs convexes ou autres dispositifs permettant de réduire les angles morts des véhicules lourds;
  • d’expérimenter sur son territoire le résultat de ces études en modifiant le cahier des charges des entrepreneurs en déneigement afin d’y inclure les nouveaux équipements comme obligation contractuelle;
  • de mettre en place, s’il y a lieu, un mécanisme similaire à celui en place à la Ville de Laval afin de lire le permis de conduire de tous les travailleurs affectés aux opérations de déneigement et ainsi contrôler les heures de travail de ces personnes.



À Contrôle routier Québec  :

  • d’augmenter, de façon significative, ses vérifications en entreprise afin de mieux contrôler les heures de travail des conducteurs de véhicules lourds;
  • d’augmenter sa présence et ses opérations lors des opérations de déneigement.



À la Société de l’assurance automobile du Québec  :

  • de mettre sur pied une campagne de sensibilisation des piétons quant à la réalité des angles morts des véhicules lourds et de leurs conséquences pour leur sécurité comme piéton;
  • d’informer les piétons de leurs obligations légales lorsqu’ils traversent une route et des règles qui les régissent;
  • de modifier leurs documents à l’intention des piétons afin d’y inclure toute l’information sur les angles morts des véhicules lourds et sur les conséquences pour leur sécurité.



Au Comité stratégique pour un déneigement sécuritaire  :

  • d’amorcer une réflexion sur le déneigement dans les villes, les demandes de déneigement dans un court laps de temps et les conséquences de ces demandes sur le milieu.



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Source : 

Geneviève Guilbault
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